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Nuits d'insomnies au camping (2)

2 ème nuit

· Les autres histoires

Suggestion d'ambiance musicale : ce texte peut être lu en écoutant la playlist Nuits d'insomnies au camping sur Spotify - (voici quelques titres si tu n'as pas Spotify : moon dance de Danny Elfman, Be my Doll d'Adrian Von Ziegler, Ghost Childrn de Bruno Coulais, Sister 1 de Jacob Renfield Boston, Meet Charlie de Douglas Pipes.)

17 septembre 2024 - Deuxième nuit - 23h38

Les yeux ouverts sur la toile qui nous surplombe, je tente de me concentrer afin de retarder le besoin d’uriner qui inévitablement me forcera à me lever. Hier soir, Marco et moi avions décidé de boire une bière au petit bar à côté de la piscine du camping. La journée avait été longue. Marco étant un fou de sport, il m’avait fait marcher une bonne partie de la journée à un rythme effréné. « Allez! On traîne pas! », scandait-il à chaque fois que je m’arrêtais pour observer le paysage. Comme si tout ce que l’on faisait dans la vie s’apparentait à de la compétition.

En rentrant au camping, j’avais aperçu Arthur au bar qui m’adressa un petit sourire. Mon coeur s’était remis à palpiter. Juste le croiser m'avait fait un bien fou.

Attablés au bar, Marco et moi buvions notre bière et je lui racontais alors ma nuit de la veille. Le barman essuyait les verres fumant, tout juste sortie de la vrombissante machine de plonge. Comme à son habitude, Marco se moquait et me donnait des conseils non sollicités sur ma façon de gérer mes peurs. Sa philosophie : manger avant de se faire manger. Pris à parti par Marco - il adore avoir un public - le barman arbora un air sérieux afin de nous raconter une histoire qui, une fois allongée dans l’obscurité de la tente, me fait frissonner.

« Vous savez votre copine a peut-être raison d’avoir peur. Il y a une rumeur qui circule ici depuis plusieurs années. Un gars me l’a raconté quand je suis arrivé au camping. Il me déconseillait de trainer dans les allées la nuit et je vous conseillerais la même chose

Il y a longtemps, quand le camping venait d’ouvrir, les alentours étaient encore plus sauvages, la forêt s’étendait largement autour et il était facile de s’y perdre. Une femme est venue camper avec sa fille de 6 ans. Elle a passé 4 jours au camping, profitant de l’espace extérieur et des alentours. Puis la nuit du 4ème jour, on dit qu’elle a abandonné sa fille en plein milieu du bois. On ne sait pas pour quel motif, tout ce qu’on sait c’est que le lendemain, on vit la mère partir seule et que les vêtements de l'enfant était encore entreposé dans la penderie du bungalow - des robes, des t-shirts, des shorts et même une peluche. Elle ne voulait vraiment pas qu’on la retrouve parce que malgré les appels du camping, les lettres, jamais cette femme ne repris contact.

Quand à la jeune fille, elle n’a jamais été retrouvé. La disparition n’a pas mobilisé grand monde car aucune preuve tangible n’indiquait qu’un enfant avait été abandonné. Certains disent que perdue dans les bois, la fillette a du faire son possible pour survivre et que petit à petit, elle se transforma en une créature mi femme- mi animal, aux dents acérés et aux ongles affutés.Certains racontent même qu’en agrandissant le camping, on a fini par empiéter sur son territoire. Le camping a quadruplé de volume depuis son ouverture en 1920 alors parfois la fillette devenu adulte vient roder ici la nuit, cherchant dans les détritus des campeurs de quoi se nourrir. Si elle ne trouve pas de quoi manger, elle gratte au tente pour attirer les personnes à l’extérieur et leur piquer un peu de chair pour sustenter son appétit. »

« N’importe quoi » avait répondu Marco qui regardait le barman comme si c’était un fou, « c’est des histoires inventées pour attirer les tourismes."

« Je ne vois pas quels touristes peuvent être attirés par cette histoire » lui avais-je répondu sèchement.

Haussant les épaules, Marco se tourna vers le barman l’air hautain. Il n’eut pas le temps de dire ce qu’il avait en tête que ce dernier continua son récit.

« Attendez, jusque là on peut se dire qu’en effet, ce n’est qu’une histoire pour faire trembler les jeunes et attirer les personnes en mal de sensation. Mais le plus dingue c’est qu’il y a deux ans, il y a eu un incident assez étrange ici. Ça a même été raconté dans le journal local. Je m’en rappelle, c’était ma première année en tant que saisonnier et ça ne m’avait pas rassuré." Le jeune homme s'était éloigné et cherchait dans le tiroir caisse quelque chose. Un grand sourire se dessina sur son visage et il sortir fièrement un petit carré de papier journal découpé. Il me le tendit et bien que froissé, je pouvais voir la photo représentant bien le camping dans lequel nous séjournions.

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Le barman continuait son récit ayant repris l'essuyage des verres.

" J’ai cherché ailleurs mais finalement, je suis revenu ici : mieux payé, horaires plus cool. Bref… Il y a deux ans, une femme avait été retrouvée au petit matin inconsciente derrière des sanitaires. Elle avait des marques de strangulations sur le cou, des morsures profondes sur le bras et des griffures sur tout le corps. Les secours ont été appelé. C’était la panique dans le personnel. Personne n’a jamais su ce qu’il s’était passé ou en tout cas, rien n’a jamais été divulgué. La femme, une fois réveillée, aurait dit que l’obscurité l’avait attaquée mais c’était pas très clair! Une chose est sûre, quelqu’un avait gratté à sa tente la nuit avant. »

Marco secouait la tête, désespéré d’entendre de telles bêtises. Quant à moi, l’histoire de la tente me rappelait ce qu’Arthur m’avait raconté et je ne pouvais m’empêcher d’y penser. Je bu alors d’une traite la fin de ma bière.

Maintenant la bière avait envie de descendre et j’allais devoir me lever. Traverser à nouveau le camping ne me plait pas du tout. Un peu de courage gamine! Néanmoins, je ne suis pas une enfant et je ne peux me permettre de croire aux légendes et autres rumeurs. Je me lève donc et ouvre la tente rapidement, décidée à montrer que je ne suis pas une mauviette et que je suis assez grande pour ne plus avoir peur du noir. Bon ok…il fait sacrément noir. C’est donc d’un pas pressé que je me dirige dans un WC, m’y enfermant rapidement. Ma vessie n’a pas le temps de dire « ouf! » qu’elle est déjà vidée et mes mains déjà lavées. Moi peur? Pas du tout! Je ne perds pas mon temps c’est tout! Je me dépêche de faire le chemin en sens inverse, entouré par les bruits qui sont certainement dû à quelques animaux et non à une femme sauvage sur le point de me sauter au cou pour faire de moi son dîner. Improbable ! Regardant mes pieds pour éviter de croiser quelque chose qui dans l’obscurité serait plus suspect qu’un museau de renard affamé et qui remettrait en question mon apparente vaillance, je me heurte violemment à un torse. Je lève les yeux.

« Bonjour Léa ou devrais-je dire Bonsoir?»

Arthur est devant moi, le sourire aux lèvres, les yeux levés à la recherche de la réponse à sa question. Il porte un sweat-shirt gris ouvert sur un t-shirt blanc et un jean. Je lui souris en retour.

« C'est surement Bonsoir. Désolé mes idées sont confuses. Je n’arrive pas à dormir. » continue-t-il.

« Pareil. »

Subitement, un bruit sourd comme si quelque chose d’imposant tombait sur le sol se fait entendre à plusieurs mètres. Je sursaute et dans un élan, je me blottis contre le torse d’Arthur qui a le même air surpris que moi sur le visage. Il est aussi destabilisé de me voir contre lui qu’il est étonné par le bruit que l’on vient d’entendre. Arthur racle sa gorge comme pour reprendre une certaine contenance et porte sa main sur sa nuque pour la gratter compulsivement. Je m’éloigne de lui, les joues rouges.

« Bon pas de quoi avoir peur hein? » me dit-il. Dans un premier temps, son regard gêné pivote de gauche à droite, puis il tourne ses yeux vers moi.

Mon visage doit trahir la peur qui m’habite et je me décide à lui raconter ce que j’ai entendu hier lorsque nous étions au bar. Les yeux d’Arthur grandissent, comme surpris par mon récit. Il doit certainement penser aux bruits qu’il a entendu la veille mais il cherche à faire preuve de vaillance et m’offre un sourire rassurant. Soudainement, un second bruit vient nous faire sursauter tous les deux. Il est plus proche. Quelque chose semble traîner lentement, difficilement sur le sol, emportant à son passage les centaines de petite épines réparties sur le sol. Comme si l’on tirait un corps! Le bruit se rapproche encore. Mon sang se glace, mon coeur s’arrête. Puis d’un coup, une énergie soudaine m'envahit. L’adrénaline fait une remontée fulgurante. Je prends la main d’Arthur et je l’emmène d’un pas à la limite de la course jusqu’aux sanitaires ou la lumière règne à nouveau. Cet éclairage ramène un peu de clarté dans mon esprit embrouillé et la tension redescend. Je me rends alors compte de ma main agrippée à celle d’Arthur, de la chaleur de sa paume dans la mienne. Mon coeur s’arrête une nouvelle fois et le rouge me monte aux joues. Je suis profondément embarrassée et je relâche mon étreinte afin de le libérer.

« Je suis désolée, j’ai eu peur. » Baffouillè-je.

« Pas de problème, je crois que j’ai eu peur aussi. » dit-il en se massant la paume de main désormais libre avec son pouce. Je le regarde faire embêtée.

« Vraiment encore désolé, c’est moi qui vous ai fait peur avec toutes ses histoires et en plus, je vous emmène avec moi sans prévenir.»

« Ah ah ah, oui c’est vrai mais c’est avec plaisir que je vous ai suivi et avec un peu d’empressement aussi » dit-il en riant. Il m’a suivi avec plaisir? Je m’arrête alors sur ses yeux afin de sonder le sens de ce qu’il a dit. Son regard brillant et intense se porte sur moi. Mon coeur s’emballe à nouveau. La chaleur m’envahit. Ma main encore marqué par sa chaleur est désormais moite. Je me ressaisis avec difficulté et marmonne à nouveau une phrase en guise d’excuse.

« Oui je crois que ma frousse est contagieuse. »

Le rire d’Arthur s’élève soudain dans la nuit, inattendu, sincère. Je le regarde surprise dans un premier temps puis son rire contagieux finis par me dérider.

« Bon je vais retourner à ma tente, c’est mieux. » Arthur a retrouvé un peu de son sérieux mais des rides de joie marquent encore son visage. Ses yeux me regardent à nouveau et semble trahir une certaine hésitation. Il me prend alors la main pour la serrer maladroitement. Le rouge aux joues, il s’en va, un peu embarrassé. J’ai bien envie de lui crier de ne pas me laisser mais après tout, je ne le connais pas et je ne souhaite pas me ridiculiser davantage ce soir.

Je me retrouve donc seule dans la lumière au milieu des lavabos. Je m’approche de la sortie, retenant mon souffle afin de pouvoir écouter plus attentivement les bruits extérieurs. Dehors le calme règne. De temps en temps, un souffle de vent vient remuer les branches des immenses arbres se dressant au dessus du camping comme des barrières à la clarté lunaire. J’entends alors parfois des chutes d’épines ou de pomme de pin. Le bruit, qui, auparavant, m’avait fait frémir, a disparu. Mon coeur palpite à l’idée de devoir retourner à ma tente mais je ne peux rester dans ce lieu ouvert, qui une fois déserté par Arthur ne me rassure plus vraiment.

18 septembre 2024 - 3h15

Je suis rentrée dans la tente en marchant si vite que j’ai du mal à imaginer que j’ai pu toucher le sol. Désormais enfermée, Marco à côté, je me sens plus en sécurité. Pourtant je reste attentive à tous les bruits qui m’environnent. Je repense à ces sons étranges que nous avons entendu et je finis par sombrer dans un sommeil agité.

 

(© Ce texte est la propriété de "les Désirs de Lola" et ne peut être reproduit ou propagé sans autorisation sous peine de poursuite)