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Nuits d'insomnies au camping (3)

3 ème nuit

· Les autres histoires

Suggestion d'ambiance musicale : ce texte peut être lu en écoutant la playlist Nuits d'insomnies au camping sur Spotify - (voici quelques titres si tu n'as pas Spotify : moon dance de Danny Elfman, Be my Doll d'Adrian Von Ziegler, Ghost Childrn de Bruno Coulais, Sister 1 de Jacob Renfield Boston, Meet Charlie de Douglas Pipes.)

19 septembre 2024 - Troisième nuit - 2h15

Le nez sur mon portable, je fais défiler mon feed Instagram pour tromper le temps. Une fille qui effectue une chorégraphie élaborée, un homme qui distribue des bonnes nouvelles, une femme qui déballe des colis, … le monde continue à tourner. La sieste que j’ai faite et notre dispute m’empêche de dormir cette nuit encore. Ma sieste, de 4h tout de même, a été interrompue par un Marco furieux devant mon manque d’effort pour sauver notre couple. Ce réveil était brutal et de nombreuses minutes se sont montrées nécessaires afin de m’extirper de la torpeur inhérente aux longues siestes postméridienne. J’étais si bien embourbée qu’il a pu, à loisir, me reprocher une bonne partie des trois ans que l’on a passé ensemble. Je ne referais pas le film, mais pour traduire ces remarques que je connais si bien : je ne m’adapte pas assez à lui et pour un égoïste comme lui c’est trop intolérable, bla bla bla. Même rengaine - Même mimique de pauvre malheureux - Rien de nouveau sous le soleil. Alors m’observant dormir durant l’après-midi, Monsieur tournait en rond, pensant à tout ce qu’on ne pouvait pas faire pendant ce temps-là. Je l’obligeais à rester assis à m’attendre et c’était vraiment la cerise sur le gâteau. « Mais pars! Vis ta vie! Sans moi, loin de moi! » aurais-je du lui dire mais évidemment les bonnes répliques arrivent toujours après la bataille. Et puis comment pouvait-il sauver notre couple si je ne pouvais pas être en admiration devant lui? C’est sûr que c’est plus dur de faire grande impression sur quelqu’un qui dort! J’ai eu beau lui dire qu’il n’y a avait rien à sauver et que continuer ainsi n’améliorerait rien, il a préféré me reprocher encore et encore l’ambiance plutôt que de se remettre en question. Typique! Comment pouvait-il se remettre en question lui qui est si égocentrique.

Mes yeux perdus sur des images que je ne regarde même plus, je rumine. Ma colère nourrit mon éveil. Je rage de le voir dormir si bien à côté de moi, d’un sommeil du juste comme on dit. Pourtant je ne trouve pas cela juste. Tout ses reproches, tout ce qu’il semble penser lui revenir de droit, tout cela m’écœure et mon manque de discernement passé me submerge. Les yeux sur lui, une boule vénéneuse grandit alors dans mon estomac. Je sens les battements de mon cœur frapper dans ma gorge, comme un appel, un besoin de sortir. La tente semble se rétrécir. Je me sens étouffer, enfermée dans ce lieu exigu à côté de lui … Prisonnière! Au bord de la crise d’angoisse, j’attrape mon sweat-shirt, ouvre la tente et sort dehors prendre une grande bouffée d’air frais. Les larmes me coulent. Je me sens si misérable. Mon coeur palpite emprunt à la détresse et raisonne dans mon oreille, bourdonnant tel un insecte envahissant. L’air frais qui rentre dans mes narines me calme pour un moment seulement et une sueur froide remonte dans mon dos. J’ai besoin de boire. Je me dirige d’instinct vers les toilettes, fuyant l’obscurité qui m’oppresse, semblant n’être que le prolongement de mon angoisse intérieure. Présente et lourde, elle a bien du mal à se disperser. Des gouttes de sueurs perlent sur mon front, pourtant j’ai froid. Je ressens de légers vertiges sur le chemin qui m’obligent régulièrement à fermer les yeux pour reprendre un semblant d’équilibre.

« Léa, vous allez bien? »

Une main vient se poser sur mon épaule. La chaleur, sensation extérieure, me ramène un peu à moi. Je me concentre sur la sensation comme accroché à ma bouée de sauvetage et lève les yeux. Arthur est devant moi et me regarde l’air inquiet. Je lui esquisse un sourire peu convaincant en guise de réponse.

« Venez vous rafraîchir. » Il me prend la main et me guide alors jusqu’aux toilettes.

Un coup d’eau glacial sur le visage me rend mes couleurs, perdues pendant ma bataille intérieure. Reconnaissante, je me tourne vers Arthur et le remercie.

« J’espère que vous n’étiez pas dans cet état après avoir croisé la fille abandonnée » me dit-il un sourire espiègle sur les lèvres. L’atmosphère devient alors un peu moins lourde et je me surprends à sentir un sourire se dessiner sur mes lèvres.

« Non ça aurait sûrement été plus simple à gérer. »

Arthur prend son menton entre ses doigts et lève les yeux le temps de quelques secondes de réflexion.

« Je dirais que vous avez besoin de discuter et je ne sais plus quoi faire de mes nuits… à part vous chercher dans l’obscurité. C’est la seule activité qui anime mes nuits en ce moment.»

Les joues d’Arthur se teintent discrètement de rouge mais je l'ai vu. Il cherche ses mots pour me proposer de rester avec lui.

« Oui je veux bien de votre compagnie, » lui dis-je en guise de réponse à une question qui restait en suspension sur ses lèvres. Je me sens bien avec lui et j’ai, en effet, besoin de me confier.

« ah? Euh okay! » Arthur sourit l’air ravi et me prend la main pour me guider hors des sanitaires. Mon coeur palpite mais cette fois ces battements raisonne agréablement dans ma cage thoracique. Je le suis dans le dédale des allées jusqu’à sa voiture où il en sort un plaid plié, puis, jusqu’à la piscine. Elle se situe à l’entrée du camping et est entourée d'une clôture en bois limitant l’accès aux horaires non autorisées. Le bar, fermé à cette heure-ci, et l’emplacement réservé aux évènement sont accolés à la piscine. Un léger éclairage de chaque côté de l’écriteau de la devanture permet de lire D'un coup, Arthur saute par-delà les barrières avec une facilité déconcertante. On distingue faiblement les chaises longues disposées sous le bain de soleil. Avec des gestes maîtrisés, mon complice d’un soir vient me faire passer deux transats que nous disposons non loin du bastringue. Ce lieu est l’unique endroit du camping dépourvu d’arbre et il nous permet, grâce à la faible luminosité de ce soir, de regarder les étoiles.

« Parfait. » » soupirè-je a l’aise.

« Content que ça vous plaise. » Le sourire d’Arthur est si sincère qu’il vient réchauffer mon petit coeur livré encore à l’angoisse, il y a peu. Notre proximité à ce moment-là et le sentiment de bienveillance qui émane de lui me rassure et je me livre - comme ça, sans introduction - le coeur ouvert - la bouche inarrêtable. Je lui raconte mon couple et sa rupture inévitable. Il ne se passe plus rien depuis longtemps et j’ai pris ma décision. Ne me demandez pas pourquoi mais il me semble important d'éclaircir ma situation à Arthur. Peut-être est-ce mon coeur qui palpite d’une douce chaleur quand je le vois ou encore le fait que je me sente si à l’aise avec lui, qui sait? Quoi qu’il en soit, je ne lui cache rien et lui parler me fait du bien même si ce récit me montre sous un jour pas très flatteur.

Arthur reste silencieux et m’écoute attentivement avec intérêt. Il rie parfois mais ce n’est jamais moqueur. Il détend juste mon corps et mon coeur quand son sourire.

Soudainement, le bruit de quelqu’un qui tombe à l’eau interromps mon récit et aussi les battements de mon coeur. Je me tourne vers mon voisin un peu affolée. Les yeux d’Arthur sont ecarquillés et regarde l’obscurité en direction de la piscine.

« C’était quoi ça? » lui dis-je, la voix tremblante.

« Y a quelqu’un. Vous avez besoin d’aide? » Arthur s’est levé et approché de la piscine afin de voir mieux mais peine perdue. La lumière n’est pas assez forte et les différents éléments entourant le lieu de baignade amplifient l’obscurité. Il se tourne alors vers moi. Ses yeux sont écarquillés.

" Tu vas bien? Tu peux aller chercher une lampe de poche?"

Mon coeur bat à tout rompre et sans réfléchir je cours jusqu’à ma tente, l’ouvre rapidement et prend la lampe accrochée à l’avant. Marco grogne et remonte son sac de couchage sur son épaule. Je n'y prête pas attention bien trop concentrée sur mon objectif et essoufflée, je retrouve Arthur qui n’a pas bougé.

« Le bruit a cessé? » lui demandè-je effrayée.

« Non, l’eau n’a pas cessé de remuer ». Il me montre du doigt le liquide sombre. Les reflets des faibles lumières présentes au bar ondulent de façon inquiétante sur la surface, montrant en effet qu’une activité a eu ou a encore lieu dans la piscine. Mon sang est glacé et je tend tremblante la lampe à Arthur. Il se tourne, pose sur moi un regard doux, prends la lampe de sa main gauche et de sa main droite enlace mes doigts. La lampe allumée, il la balade le long de l’eau. Nous nous déplaçons à mesure que le rayon se déplace afin d’explorer toute la surface de l’eau. Seul le vent se fait entendre. Celui-ci siffle fortement. J’ai la chair de poule. Le faisceau lumineux n’éclaire que de petit espace, le reste se maintenant dans une obscurité difficilement sondable. Le fond de la piscine est perdu dans l’ombre de la nuit.

« Regarde ! » Arthur m’a lâché la main et me montre du doigt une flaque d’eau qui se trouve au bord du bassin.

« Oui on dirait que quelque chose est sorti de l’eau ». Le coeur palpitant, je me dirige vers la barrière que j’escalade en invitant du regard mon compagnon à me suivre. Il me passe la lampe de poche et j’éclaire frénétiquement autour de moi pour être sûre que rien ne se cache. Gauche - rien - Droite -rien non plus. Arthur monte la barrière et je lui reprends la main, le regardant dans les yeux. Il me sourit doucement et son sourire me rassure un peu.

« Ne t’inquiète pas, ça doit être un animal. Le pauvre a du être surpris par l’eau avec la nuit. »

Je lui souris en guise de réponse et nous nous approchons de la piscine pour aller voir de plus prêt. L’eau remue encore. Les jeux aquatiques me semblent si lugubres dans l’obscurité. Un clown à la peinture écaillé me sourit l’air macabre et je failli de glisser sur le sol. Arthur me rattrape alors de justesse. Sa main posée sur mon dos, mon torse touche le sien et mon coeur se met à chauffer une nouvelle fois fortement. Je suis très proche de lui et je peux sentir son coeur battre à tout rompre dans sa poitrine. J’espère que le rapprochement de nos corps en est l’origine. La lampe est tombée et nous éclaire faiblement. Je perçois à peine ses joues rougir et je lui adresse alors un sourire gênée. Mon compagnon me lâche et reprend la lampe tombée à terre. Nous continuons alors jusqu’à la flaque, le clown retournant dans les ténèbres - j'aurais vraiment préféré qu'il reste dans la clarté. La flaque est belle est bien présente et Arthur éclaire l’eau cherchant je ne sais quoi. Moi, je me décide à regarder autour. D’un coup, je me fige. Mon coeur s’est arrêté et je sens un frisson immense me parcourir le dos.

« Arthur, Arthur » Ma voix presque étouffée le presse de venir.

« Merde. » Arthur s’est joint à moi et devant nous, des traces humides de pieds ... de pieds humains.

Un nouveau bruit se fait soudain entendre devant nous. D’un geste brusque, le faisceau de lumière est dirigé dans la direction du son. Quelque chose bouge rapidement et se dissimule derrière la grande statut d’écureuil qui marque l’entrée de la piscine. Arthur surpris laisse tomber une nouvelle fois la lampe. Encore plus affolée, mon coeur s’est arrêté une nouvelle fois. Je ne respire plus. Je me baisse et tente difficilement de récupérer la lampe, tatônnant le sol à l'aveuglette. Mes yeux ne peuvent se décrocher du rongeur en bronze qui cache derrière lui je ne sais quoi. Je me décide quand même à jeter un regard pour pouvoir attraper la lampe que je n’arrivais pas jusqu’alors à saisir.

« Putain ça a encore bougé! » Arthur me secoue l’épaule.

Je me relève brusquement la lampe à la main et tente d’éclairer l’entrée de la piscine. Le portail claque violemment sur la butée, quelqu’un est passé par là. Arthur me reprend la main et se dirige rapidement vers l’entrée cherchant du regard autour de nous. Des traces de pieds visibles sur le sol nous indique la présence de quelqu’un et ça me fait froid dans le dos. Quelqu’un se joue de nous ou il y a vraiment quelque chose de bizarre dans ce camping. Nous sortons de la piscine et les pas de mon partenaire se font de plus en plus rapide. Je peine à le suivre au point de courir.

« Je vous entends. » dit-il alors que nous poursuivons des bruits dans l’ombre, le bruit de pas sur les pins jonchant le sol, un allaitement d’outre-tombe et parfois des petits rires qui glacent le sang des pieds à la tête. La lampe n’arrive pas à saisir ce que nous traquons, nous percevons ses mouvements mais ils sont toujours plus rapide que nous. Arthur s’arrête brusquement. Je ne sais pas où regarder ni où pointer la lumière. Les bruits semblent venir de partout, nous entourer. Mes jambes tremblent et j’attrape le bras d’Arthur.

« Qu’est-ce que vous faites ici? »

De surprise, un petit cri m’échappe et nous nous retournons alors. La lumière est aveuglante et dirigée sur nous. Un grand roux d’une cinquantaine d’année baisse légèrement sa lampe torche nous permettant de mieux le voir.

« C’est vous qui avez ouvert la piscine. »

« Non Monsieur! Quelqu’un est tombé dans la piscine et semble jouer à cache cache avec nous. » Arthur s’est redressé et répond sur le même ton agacé que celui qui nous éclaire désormais.

« Vous êtes qui d’ailleurs? »

« Excusez-moi. Je suis Vincent le propriétaire du camping. J’ai entendu du bruit et je suis venue voir. Une personne vous dites? » Sa voix est devenu plus calme et il a baissé sa lumière.

« Oui il y a des traces de pas. » lui dis-je timidement.

« Mmmmhhh, vous avez du mal voir, c’est certainement un animal. » reprend-il le ton plus sec.

« Pourtant il a ouvert la porte votre animal. » lui répond Arthur avec un agacement légèrement perceptible.

« Oui ben quelqu’un a du oublier de la fermer. Personne n’aime se baigner dans cette obscurité et ce froid. » Le propriétaire de camping nous répond désormais sur un ton dédaigneux. « Rentrez dans vos tentes. Je n’aime pas que les gens trainent la nuit. » Il fait des gestes rapides nous mimant ainsi de partir.

Arthur se tourne alors vers moi et me regarde. Ses yeux me sondent, me questionnent mais la peur et la fatigue se lisent sur mon visage.

« Je suis désolée Léa, je vous ai fait courir. »

« Ce n’est pas grave. Je pense qu’il vaut mieux qu’on retourne dans nos lits »

Vincent attend impatiemment, les poings sur les hanches, il nous dévisage agacé. Mon compagnon se tourne vers lui pour lui adresser un regard mécontent.

« Je vais te raccompagner » me dit-il ensuite un sourire doux aux lèvres.

 

(© Ce texte est la propriété de "les Désirs de Lola" et ne peut être reproduit ou propagé sans autorisation sous peine de poursuite)